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Étonnante canneberge du Québec - Ça vaut le détour

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UN TEXTE DE ALLISON VAN RASSEL

J’adore la canneberge. Sa teinte d’un rouge vif et son acidité surprenante font d'elle un fruit incomparable dans le vaste paysage alimentaire mondiale. En cette période de récolte, je me suis rendue dans les champs de l’entreprise Emblème Canneberge afin de mieux comprendre les défis associés à la récolte et la mise en marché d’un fruit au potentiel gastronomique incomparable.

« À ce temps-ci, normalement, ce n’est pas aussi rouge que ça », constate Vincent Godin, président chez Emblème Canneberge, alors qu’il examine les fruits dans ses champs. « Il y a eu un 5-6 jours de gel vraiment intense dans l’avant-dernière semaine de septembre, ce qui a permis aux fruits d’atteindre cette couleur. On est une bonne semaine en avance. On part au-dessus d’une saison normale », poursuit-il fièrement. La qualité est remarquable cette saison-ci, alors que la quantité, elle, n’est pas au rendez-vous.

La ferme que j'ai visitée, à Villeroy, est l’une des premières fermes dédiées entièrement à la culture de la canneberge dans le Centre-du-Québec, l’épicentre de la production dans la province.

Elle procède à ses activités sur des terres pauvres et sablonneuses, situées sur ce que les historiens appellent l’ancienne mer de Champlain, des terres qui sont d'aucun intérêt pour l’agriculture, sauf peut-être pour la canneberge.

« Au centre du Québec, on est dans l'une des meilleures régions au monde pour produire les canneberges », estime l’agriculteur. « Le climat, les hivers froids, qui permettent de contrôler les insectes, mais aussi le sable de l’ancienne mer de Champlain, avec sa terre sablonneuse essentielle pour produire des canneberges efficacement. »

En 1992, les parents de Vincent ont mis en place les fondations de ce qui est aujourd’hui Emblème Canneberge, une entreprise qui opère trois fermes de canneberges, dont celle-ci située au milieu du 16Rang, à Villeroy.

Annuellement, l’entreprise produit 10 millions de livres de canneberges et en achète 30 millions de livres, des quantités qui ne représentent pas plus de 10 % de la production annuelle au Québec. C’est David dans un paysage de Goliath.

Devant nous, trois champs encerclés de digues sont complètement inondés. Dans le champ de gauche, un tracteur circule lentement pour décrocher les fruits. Dans celui de droite, des ouvriers s’affairent à pomper les petites boules rouge écarlate dans un camion. Les fruits ne poussent pas dans l’eau, ils flottent à la surface de l’eau grâce à des cavités d’air qui se forment naturellement à l’intérieur des fruits.

Puis, dans le champ devant moi, trois travailleurs mexicains procèdent à la dernière étape de la récolte : encercler les fruits à l’aide de râteaux, de souffleurs à feuilles et de longs flotteurs jaunes et bleus cylindriques afin qu'ils soient pompés. L’eau s’écoule dans un réservoir et les fruits, dans la benne d’un camion. Ce dernier prendra le chemin de l’usine de conditionnement où le tri, le calibrage et l’emballage seront effectués.

Ressource protégée
C’est la première fois que j’assiste à la récolte de canneberges et je suis impressionnée par la quantité d’eau nécessaire dans le processus. Vincent précise que l’eau est stockée et réutilisée tout au long de l’année, car une saine gestion de l’eau est une préoccupation pour son entreprise. S’il manque d’eau, la récolte peut difficilement avoir lieu.

« L’année 2012 fut une année terrible pour l’industrie en raison de la sécheresse », précise Monique Thomas, directrice générale de l’Association des producteurs de canneberges du Québec (APCQ), qui est venue à notre rencontre. « Suite à ça, plusieurs ont failli manquer d’eau. Ils ont investi des millions de dollars pour construire des lacs et des réseaux d’irrigation, en sacrifiant parfois des zones de culture pour faire des lacs. »

« On a plus d’extrêmes à prévoir », ajoute à son tour M. Godin qui porte aussi le chapeau de président de l’APCQ. « Quand on a terminé avec l’eau ici, on la pompe dans nos lacs en haut. Tout se fait en circuit fermé. »

« Une ferme de canneberges moderne, ça inclut beaucoup de réservoirs d’eau pour ne pas avoir le stress de se demander si on va être capable de récolter, car l’eau est la façon la plus efficace que l’industrie a trouvée pour récolter les canneberges. » 
- Vincent Godin, président Emblème Canneberge

Afin de protéger les plants des froids intenses des hivers québécois, les champs sont inondés avec l’eau des réservoirs. Elle fige la plante dans la glace. Au printemps, elle est récupérée, et ainsi de suite. C’est donc toujours la même eau qui circule d’année en année et qui provient de la fonte des neiges et des pluies.

La récolte s’effectue exactement de la même manière chez un producteur qui détient une certification biologique. C’est le cas pour une des trois fermes de la famille Godin à Saint-Louis-de-Blandford.

Ce sont les possibilités de traitements phytosanitaires des vignes qui différencient une culture certifiée biologique d’une conventionnelle, m’explique Vincent. La seule façon de contrôler les mauvaises herbes et les insectes ravageurs dans la culture biologique est à la main ou avec du vinaigre, car les insecticides et les herbicides sont interdits.

En culture conventionnelle, les traitements phytosanitaires sont pour la plupart réalisés avec du Roundup, mais c’est aussi « très ciblé comme intervention, précise Vincent, car c’est un pesticide puissant et efficace. »

Les fermes certifiées biologiques récoltent aussi leurs fruits beaucoup plus tard dans la saison, car ceux-ci prennent plus de temps à grossir. Les fruits sont plus petits, mais se mangent comme des bonbons.

Trop de bio?
Le Québec est le plus grand producteur de canneberges biologiques au monde, mais 95 % de la production disparaît sur le marché européen et asiatique. Selon Monique Thomas de l’APCQ, le marché mondial de la canneberge biologique est saturé.

« Il y a eu énormément de conversion de fermes conventionnelles vers la culture biologique depuis les quatre dernières années », explique Monique Thomas. « Il y a quatre ans, on produisait environ 30 millions de livres de canneberges biologiques au Québec. Depuis deux ans, on est rendu à environ 70 à 72 millions de livres de canneberges biologiques. Le défi, c’est de développer le marché, notamment le marché local. »

« Les Asiatiques ne connaissent pas ça, le biologique. Ils n’ont pas d’intérêt pour nos produits biologiques. C’est ici, au Québec, au Canada, qu’il faut développer le marché. » 
- Vincent Godin, président Emblème Canneberge

Séduisante transformation
Chez Emblème Canneberge, la presque totalité des fruits — biologiques ou non — est exportée à l’extérieur du pays, dont l’Europe, la Chine et les États-Unis. Seulement 5 % de la production demeure en sol québécois. De cette quantité, 3 % des fruits sont achetés par Nutra-Fruit, une entreprise de la rue Watt, à Québec, qui se spécialise depuis 2006 dans sa transformation de la canneberge.

À partir des fruits congelés de grade A, soit le plus haut standard de qualité, l’entreprise élabore près de 20 produits dont des canneberges enrobées de chocolat, des huiles, des vinaigrettes, des thés et des poudres.

« Comme c’est un fruit acide, la transformation est très facile, car c’est naturellement antimicrobien. Pas besoin de mettre d’agent de conservation, ni d’additifs. On a les meilleures conditions pour travailler ce fruit-là. »
- Yolande Kougioumoutzakis, copropriétaire de Nutra-Fruit

Nutra-Fruit se donne comme mission d’étendre la sauce de la canneberge afin qu’elle soit cuisinée à l’année et de façon plus gastronomique. La qualité est remarquable, car ils savent mettre en valeur le côté séduisant de la canneberge, sans dénaturer le fruit.

« Les gens pensent que Nutra-Fruit, c’est industriel, alors que nous, on a toujours voulu garder ça fait maison, fait à la main », raconte Yolande, qui gère l’entreprise avec son conjoint Jean-François Veilleux. « C’est super important pour nous. Ce n’est pas notre plaisir de travailler avec des machines, c’est avec des gens que j’aime travailler. C’est un choix qu’on fait. »

Dans le marché de l’alimentation, la canneberge séchée sucrée — avec le jus comme sous-produit — est le produit phare de l’industrie, mais de loin le moins savoureux afin d’initier son palais à sa beauté aromatique. C’est l’allié de vos sauces, de vos viandes, des poissons gras et des légumes racines, car la canneberge remplace à merveille les agrumes. Espérons que l’intérêt souligné pour les aliments locaux permettra à la canneberge de se tailler une place de choix au coeur de vos créations culinaires, et non dans un sous-produit saturé en sucre.

Un texte de : Allison Van Rassel, Émission Ça vaut le détour - Radio-Canada
Source : https://ici.radio-canada.ca/quebec/ca-vaut-le-detour/1741611/etonnante-canneberge-du-quebec
(Consulté le 18 octobre 2020)


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